Série "Buffy" (3)

Dracula espère que le livre ne se vendra pas. Sans doute un voeu pieu(x).

Manque de rigueur ou œillères idéologiques ?

Lu Buffy ou la révolte à coups de pieu, de Marion Olité, actuellement n°1 des ventes sur Amazon, dans la catégorie « livres sur la télévision » et avec une note de cinq étoiles (véridique). Quelques impressions  : Le bouquin est assez bref, sans doute le plus court que j'ai jamais lu sur la série, avec 150 pages petit format. Mais aussi avec un nombre record de notes de bas de pages, comme j'en ai rarement vu, même dans des études universitaires. Quasiment toutes les pages en ont plusieurs, parfois elles représentent jusqu'à un tiers du texte.

Mais c'est leur contenu qui me laisse sceptique, car elles tendent à me faire croire que le livre s'adresse en réalité à des personnes n'ayant rien vu de la série. Buffy est une série que j'apprécie et que je connais à peu près,  sans toutefois en être un spécialiste, il s'en faut de beaucoup Mais je sais qui est Spike, Angel, le Maire, ce qu'est un « trope », etc. Je n'ai pas besoin de notices de présentation hachant la lecture. Ces notes concernent  des éléments tenus pour acquis dans l'écrasante majorité des autres livres que j'ai pu lire sur la série.

Ensuite le corps du texte m'a confirmé sa cible très grand public, car si à peu près tout ce qui est décrit me semble juste, concernant le féminisme comme la dénonciation d'autres domination (Olité n'est pas mono sujet, c'est positif). Mais c'est aussi connu et documenté depuis belle lurette, vraiment. J'ai eu en permanence le sentiment que l'autrice défonçait des portes ouvertes comme s'il s'agissait de mirifiques révélations, que cela soit dans l'analyse de la série, le procès justifié de Whedon, etc.

je n'ai rien appris, je n'ai pas discerné le moindre éclairage nouveau sur ces éléments. La lecture n'a pas été rendue plus attrayante par le style assez scolaire d'Olité (avis subjectif), d'autant que les descriptions explicatives des scènes s'avèrent à rallonge. Elles sont judicieusement choisies mais décrites avec un détail inutile, une brève référence et on la visualiserait  immédiatement, normalement.

Au total le corpus du texte se résume là aussi à relativement peu de choses, le bouquin reste un digest élémentaire de quelques thèmes de la série, tout en se situant dans l'air du temps. Ce n'est pas un mauvais livre à proprement parler, ses analyses sont exactes et peuvent donner à un nouveau public l'envie de découvrir le Buffyiverse. Mais les amateurs n'apprendront rien qu'ils ne sachent déjà. (**)



Quelques perles également. Par exemple, au début de la page 122 (« Texte et sous-texte queer »), on peut lire : « De Star Trek à Xena, le genre Fantastique permet d'évoquer des thématiques queer sous couvert d'éléments surnaturels ». Bon, aucune des ces deux séries ne relèvent du Fantastique en réalité, il s'agit de SF ou de Fantasy pur sucre. Il n'y a aucun élément surnaturel dans tout le Trekverse  (on y parle bien de Q, par contre) et le Subtext ente Xena et Gaby, ou Callisto, ne relève pas vraiment du paranormal. Entre Aphro et Gaby, je veux bien. Oui, Aphro et Gaby, parfaitement, je mourrai sur cette colline.

Bien  sûr, vous l'aviez déjà compris, cette phrase a droit à une note de bas de page. Elle fait quatre lignes pleines, dont le scoop suivant « Les deux séries ont des personnages codifiés lesbiens, bi ou gays et sont particulièrement appréciées du public LGBT+ ». Vous voyez le problème ?

Le problème est que « Star Trek » n'est pas une série, mais une franchise en regroupant plusieurs (entre autres). Et des personnages gays dans Star Trek TOS, celle que l'on appelle le plus communément « Star Trek », il n'y en a strictement  aucun, zéro. La série se montre  progressiste sur plusieurs sujets, mais machiste et patriarcale en diable. Sulu n'est pas gay, Takei a toujours constant sur ce sujet, il a même protesté quand il l'est devenu dans les films. Je suis désolé, des personnages explicitement gays dans le Trekverse, on n'en trouve pas un seul avant 2017 et Discovery, c'est ainsi. Pour le coup cette série explose les compteurs en personnages LGBT, c'est vrai et, bien entendu, cela ne l’empêche nullement d'être géniale. Il y a bien de vagues allusions dans deux épisodes de TNG, mais c'est très diffus, allégorique au mieux pour The Outcast. Et puis il y a les fanfics (notamment entre Seven of Nine et Janeway dans Voyager), mais c'est un autre sujet. Un vaste sujet.

L'hôpital psychiatrique dans lequel vous séjournez est en proie à l'agitation. Vos voisins de cellule sont fébriles, le personnel soignant tendu ; les rumeurs se répandent, les incidents se multiplient. Vous ne voyez pas le rapport entre le trafic d'organes orchestré par l'infirmière en chef et la dénommée Buffy Summers aka la Tueuse, héroïne de série télévisée. Pourtant vous allez devoir enquêter, survivre, et peut-être même sauver le monde. Enfin si vous êtes prêt à jouer. Après "Corpus Simsi" et "Certainement pas", Chloé Delaume poursuit son exploration du jeu en littérature. S'inspirant des traditionnels livres dont vous êtes le héros, La nuit je suis Buffy Summers est un roman interactif où humour, fantastique et détournements littéraires proposent au lecteur de singulières pérégrinations en terre d'amnésie.

Lu et beaucoup aimé La Nuit, je suis Buffy Summers (2007, réédité en 2020), de l'écrivaine française Chloé Delaume. Delaume, que je ne connaissais quasiment que de nom, me semble une autrice intéressante, avec une œuvre empruntant volontiers à la Pop Culture et toute en miroirs concernant une vie personnelle ayant souvent été tragique. Une apparence ludique pour un fond particulièrement noir et hanté. D'après ce que j'ai lu dans l'introduction, la première partie de son œuvre se serait constituée de toute une succession d'auto-fictions, dont ce livre serait l’aboutissement. Dont acte, j’avoue que tout cet aspect l’est largement passé au-dessus de la tête.

Mais le livre m’a néanmoins séduit par l’originalité de sa nature hybride : à la fois une fan fiction de haut niveau, ultra littéraire, et un Livre-dont-vous-êtes-le-Héros. Delaume joue pleinement le jeu en recréant absolument le même système de paragraphes numérotés interactifs que dans le Sorcier de la Montagne de Feu et consorts. Elle développe même un système de Points de vie, points de santé mentale et de combats, un ensemble certes embryonnaire face à des pavés du type La Couronne des Rois, mais fonctionnel et suffisant à favoriser l’immersion de l’amateur. Si dit le livre reste assez court, 150 pages format poche, plusieurs paragraphes sont davantage longs et denses que dans la plupart des Défis Fantastiques, je pense que l’on gagnera à en étaler la lecture et le jeu sur deux ou trois séances. En le faisant en une seule fois, on pourrait finir par survoler et ce serait bien dommage.

D’autant que Chloé Delaume, qui d’évidence connaît parfaitement la série, a l’excellente idée de bâtir sa fan fiction en se centrant sur le troublant Normal Again (A la dérive, épisode formidable). Elle s’intéresse ici à la Buffy alternative et schizophrène et nous emmène à travers elle à la découverte d’un surprenant et angoissant asile psychiatrique, tout au long d’une aventure en soi très à la Buffy (voire Appel de Cthulhu). Elle doit en effet résoudre une sombre affaire de trafic d’organes et de soumission à une déité maléfique par un culte de jeune adorateurs (assez comme dans Reptile Boy) mais aussi révéler sa véritable nature, l’histoire se concluant avec un bel effet miroir vis-à-vis de Normal Again. Le récit  se montre prenant et développe d’excellents idées : en créant le Sunnydale de Buffy Summers, la Buffy-Chloé y a imaginé d’autres pensionnaires de l’établissement, que l’on découvre ici. On se retrouve donc ici avec un Scooby Gang alternatif assez cintré, aux membres désignés par leurs initiales (RG pour Rupper Giles, etc.). Amy s’y voit incorporée, pourquoi pas. Dealume s’y intègre sans doute elle-même via « Clotilde ».

Là où les Comics de Buffy et Angel utilisent leurs potentialités pour souvent en rajouter dans le grand spectacle, ici la littérature est utilisée aussi pour y aller franco sur l’angoisse et l’épouvante, sans concession aucune, noir c’est noir, cela confère au livre une identité divergeant quelque peu de la série, mais après tout nous ne sommes plus à Sunnydale. Le Démon se voit joliment caractérisé en référence à Nietzsche (apparemment l’un des fils rouges de l’autrice) puisqu’il s’agit de  Zarathoustra. La grande force du livre de meure le talent littéraire de l’écrivaine, qui nous emporte véritablement dans on histoire, malgré parfois un peu d’afféterie, rien de bien grave. Le côté expérimental du bouquin fonctionne à plein, on pourrait tiquer sur la présence de Fantastique dans notre univers, mais finalement Normal Again n’a jamais explicitement établi que l’univers alternatif était le notre.  A y repenser, il est un peu étrange, cet asile, non ? Mon seul vrai regret demeure l’incorporation de figures de la Pop Culture exogènes à BTVS. Je trouve que cela altère un tantinet le corpus de l’ouvrage, mais au moins ils relèvent tous de la démence, à des degrés divers (la Femme à la Bûche, inévitable).

Au total une vraie curiosité ultra référencée, qui se découvre avec un plaisir constant au fil d’aventures flirtant avec l’Absurde et autres effondrements psychiques. (****)