Saga "Harry Potter" et "Les Animaux fantastiques"

Pas pour l'instant, peut-être pour ne pas pénaliser les représentations théâtrales. Mais deux millions d'exemplaires du roman ont été vendus en Amérique du Nord en 48h, donc on eut penser que la question se posera à terme, d'une manière ou d'une autre.

Vu Les Animaux fantastiques, en soi intéressante variation d’un spin-off télévisuel. De ce point de vue le film se montre habile, tout en incorporant suffisamment d’éléments pour s’inscrire clairement dans le même univers que les Harry Potter (Grindelwald sans la Baguette de Sureau, diverses références à Hogwarts et Dumbledore…), tout en veillant soigneusement à affirmer son identité en se distinguant du devancier. Tout va dans ce sens : dépaysement de l’action de l’Angleterre aux USA, époque différente, univers urbain absent des HP, où l’on n’est que rarement passé par Londres. On ne déniera donc pas au film d’apporter de la nouveauté à l’univers de J. K. Rowling, d’autant que certaines scènes réellement captivantes, hélas trop peu nombreuses, développent la structuration diplomatique du monde des Sorciers.

Par ailleurs, la mise en scène se montre assez relevée, David Yates a déjà réalisé avec succès quatre HP et cela se ressent. La très bonne nouvelle est qu’il devrait aussi mettre en scène les prochains opus de cette nouvelle saga (quatre autres opus annoncés, tous les deux ans). On y retrouve le soin extrême apporté aussi bien à la reconstitution d’époque qu’à l’adaptation du livre originel, le sens du merveilleux, ainsi que la maîtrise technique permettant d’orchestrer avec fluidité des scènes complexes (la salle d’exécution, le conseil des hauts sorciers, la bataille souterraine). On regrettera par contre l’évident abus de la technique du fond vert lors des passages dans la Valise (ou le Bagage, comme dirait le regretté Terry Pratchett), cela fait plus artificiel qu’autre chose.

La distribution m’a semblé particulièrement inégale. Si le duo vedette résulte passablement fade, peut-être pour ne pas faire de l’ombre aux Animaux, il en va différemment des seconds rôles. Si Colin Farrell, Ezra Miller (le futur Flash de la Ligue de Justice au cinéma !) et A Fine Frenzy excellent, j’ai particulièrement apprécié la prestation de Dan Fogler, plein de vie et terriblement sympathique, sachant subtilement apporter une saveur cartoonesque aux scènes de poursuite.

Autant d’éléments compromis par un scénario que j’ai réellement trouvé désastreux, grevé par plusieurs choix catastrophiques. D’abord le manque de substance est évident vis-à-vis des films HP, ici on subit de plein fouet la différence d’échelle existant entre des romans originels toujours très riches (y compris l’introductif The Philosopher's Stone) et la plaquette autrement plus concise que représentait le Manuel de Magizoologie, parce qu’en substance le film se cantonne seulement à illustrer cet ouvrage de Newt Scamander. Le scénario tourne ainsi le dos à des éléments passionnants mais à-peine entrevus, comme la société américaine des Sorciers, ou leur système de relations internationales, pour se contenter d’aligner le plus d’Animaux fantastiques possibles, à l’instar d’une vaste chasse aux Pokémons (impossible de ne pas établir continuellement ce lien en visionnant le film).

Se structurant en catalogue, le récit devient dès lors tristement linaire, loin de la riche matière à énigmes et des twists percutants de naguère Alors, oui, les Animaux sont mignons tous pleins, parfois poétiques,  et leur animation se montre remarquable, mais je regrette, entre une intrigue et des effets spéciaux, je choisirai toujours l’intrigue. Des circonstances aggravantes se font également jour, comme un certain flou (je n’ai toujours pas compris ce que Scamander était venu chercher dans cette banque) ou le soin irritant mis à insérer des scènes uniquement destinées à démontrer que les deux victimes enregistrées de l’Obscurus étaient en fait des personnes très très méchantes. Il fut un temps où les HP se montraient capables d’admettre que, oui, des gentils aussi peuvent être tués, y compris dans un univers merveilleux. Désormais c’est visiblement devenu rigoureusement inenvisageable. Une image montre même que Credence, le méchant-en-fait-gentil, a en réalité survécu aux baguettes des Aurors : que tout ceci est puéril.

On sait à quel point la caractérisation de l’antagoniste devient cruciale dans le cadre d’un film d’aventures, or celle de Percival Graves s’avère totalement déficiente, tant il se cesse de changer de personnalité et d’objectif au fil du récit. Il s’assimile à un fourre-tout, évoluant au gré des besoins du scénario, donc demeure sans consistance réelle. Par ailleurs si le film se pose en spin-off joliment campé, il échoue à se poser en pilote de série, tant son intrigue se constitue en un tout unique, on dirait un stand-alone ou un loner, pour conserver le vocabulaire des séries télévisées. Il aurait dû déboucher sur un fil rouge de la saga donnant envie de découvrir la suite, il n’en est rien. Si on ne l’avait pas su par ailleurs, il aurait été impossible de deviner une saga à venir, contrairement aux films HP.

Je reste persuadé que ces faiblesses auraient été perçues par un scénariste professionnel. Mettons les pieds dans le plat, je pense que les lacunes du film doivent beaucoup à ce que son scénario ait été écrit par J. K. Rowling. Entendons-nous bien : il s’agit d’une immense romancière, j'ai adoré chacun de ses HP, la finesse et l’imagination de son écriture ont été un ravissement. Au total je me suis davantage immergé dans son univers fantastique que dans beaucoup d’autres (bon, Tolkien reste Tolkien). Mais écrire un roman et un scénario demeurent deux exercices différents, avec des nécessités différentes. Un mérite paradoxal des Animaux fantastiques consiste sans doute à parfaitement illustrer cet état de fait.

Bien entendu je serai de nouveau au rendez-vous de J. K. Rowling à l’occasion du prochain opus, d’autant qu’il devrait cette fois se dérouler dans notre beau pays de France, peut-être l’occasion de découvrir l’Académie de Magie Beauxbâtons ! (**)

Merci !

Petite anecdote pour les amateurs d'HP :

Récemment  dans la série The Flash, Tom Felton a interprété Doctor Alchemy (L'Alchimiste en français), l'un des ennemis jurés du Bolide écarlate. Tout comme dans les Comics il détient la Pierre philosophale, ce qui lui confère d'effarants  pouvoirs de  transmutation alchimique sur la matière (la Pierre ne fonctionne pas comme cela dans la série, ce qui fait que l'on n'y comprend jamais le nom d'Alchemy, enfin, bon, bref !).

Au total on a donc pu voir Draco Malefoy brandir The Philosopher's Stone ! Bravo à CW, pour l'humour référencé cela se pose un peu là !

Effectivement j'ai rarement un film où il y avait un tel différentiel d'impact entre les premiers et les seconds rôles, c'est vraiment frappant.

Pour Gruenvald ou autre, je suis d'accord, le film doit se suffire à lui même, pour l'apprécier il ne faut pas avoir à aller chercher de l'info ailleurs. Dans Le Seigneur des Anneaux on a tout un prologue expliquant précisément qui est Sauron de Mordor, et quel a été son parcours, et pourtant il est bien davantage connu.

En plus l'identité de Gruenvald, censée éclairer toutes ses motivations d'un coup d'un seul (je n'en suis pas convaincu), n'est révélée que dans les cinq dernières minutes. On laisse donc délibérément le spectateur dans le noir durant tout le récit, uniquement pour susciter un twist en soi extrêmement classique (tout comme le coup de échange de valises, ultra rabattu).

Pour les décors verts, j'ai trouvé le trucage tellement évident qu'il détruisait l'illusion l'enchantement que l'on désirait susciter. J'aurais préféré que l'on passe d'un décor naturel à l'autre, quitte à renoncer à certains effets esthétiques, mais évidemment c'est subjectif.