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Message  Dearesttara Mar 20 Juin 2023 - 12:49

Je découvre Arthur C. Clarke avec 2001 : L'Odyssée de l'espace. Je ne suis pas un grand fan du film de Kubrick que je trouve visuellement magnifique (je pense même que peu de films ont une telle qualité visuelle y compris 50 ans après), musicalement brillant, mais très pauvre côté histoire, personnages et worldbuilding. A la lecture du très bon roman de Clarke, j'émets l'hypothèse que les nombreuses qualités du roman étaient en réalité intraduisibles à l'écran, même pour "Stan".

Car Clarke nous fait de la hard SF, parfois à la limite du spéculatif, il y a en effet un sacrifice des personnages tandis que l'histoire se montre très fragmentée, tant d'aspects fatals à l'écran. Mais tout cela est relevé par le côté visionnaire de l'auteur, dont les réflexions sur l'IA, les aliens, l'apprentissage de la connaissance, la montée et le déclin des civilisations, pas seulement terrestres, se montre passionnantes et cohérentes. Pour les années 60, le roman vieillit très bien, malgré le relatif pessimisme scientifique sur la question des aliens (cher Paradoxe de Fermi, je te hais). Et puis la question de l'IA n'a jamais été aussi actuelle, et Hal 9000 demeure un des plus pointus avertissements du genre. Je note aussi que le film de Kubrick se montre volontiers elliptique là où Clarke demeure plus explicite, à tel point que la regression finale de Bowman, inexpliquée et WTFesque dans le film, devient bien plus évidente une fois que l'on comprend la logique des "visiteurs".

Un autre sentiment qui passe mal à l'écran est que malgré son atmosphère, l'action doit primer. Or, l'action n'est pas ce qui intéresse Clarke, qui ne consacre pas plus d'un quart du roman au duel avec HAL. Pour le reste, il dépeint à merveille le fatalisme mélancolique des hommes avant la civilisation (le monolithe), l'hébétude mêlée d'excitation des scientifiques avec la découverte d'AMT-1, la solitude vaillamment combattue des explorateurs de l'espace, le déchirement moral d'HAL... tant de sentiments passionnants à suivre avec les mots mais que Kubrick, malgré son talent, ne peut transmettre avec adéquation. Même si Poole, Bowman, Guetteur de Lune... demeurent schématiques, ce sont ces ambiances mélancoliques, de petitesse face à l'immensité de l'univers et de ses mystères qui font le prix du roman. Sur ce point, ça m'a pas mal rappelé Le Gambit des étoiles (qui contient aussi un passage trip galactique) et c'est un compliment. Alors qu'il ne se passe pas grand-chose, j'ai été littéralement pris par ces ambiances, ces dissertations scientifiques et métaphysiques, cette précision maniaque qui sert de worldbuilding à la hard SF. Car Clarke ne se contente pas de décrire le fonctionnement d'Explorer 1 ou les lunes de Saturne, il rattache tout cela au côté routinier, désacralisé, d'hommes (oui seulement d'hommes, on est en 1968...) qui font juste leur job au quotidien, sans chercher l'héroïsme mais qui à nos yeux le sont. Neil Armstrong a dit une fois à Neil Gaiman qu'il ne se considérait pas comme un héros car "il était juste allé là où on lui a dit d'aller", comme quoi le syndrome de l'imposteur touche tout le monde... Dans cette SF où l'on déchire les limites de l'univers, Clarke célèbre avant tout le quotidien, préhistorique ou futuriste, un sacré tour de force, quitte à s'étirer parfois en longueur (tout le passage sur la Lune ne sert pas à grand-chose). Je ne connais que peu d'oeuvres de SF de ce type si ce n'est ce bijou incompris qu'est le Ad Astra de James Gray.

Le clou du film de Kubrick est son trip final à mon sens, et je dois dire que la version littéraire est au moins à la hauteur. Sans effets visuels ni caméra virtuose, Clarke réussit pourtant à nous étourdir avec le voyage final de Bowman à travers la porte des étoiles (sic !). L'exploration aux confins de l'univers se montre destabilisante à souhait, à la fois luxuriante de merveilles et pourtant oppressante par cet Inconnu qui se referme sur Bowman, entre magie des anciennes civilisations aliens et aller sans-retour, jusqu'à ce final ouvert, à la fois satisfaisante conclusion métaphysique (encore une fois assez proche du roman de Klein) et ouverture vers les volumes suivants que je vais bientôt découvrir de ce pas. Bref, ce premier contact avec Clarke est pleinement opérationnel ! (****)

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Message  Camarade Totoff Mar 20 Juin 2023 - 13:02

Belle analyse ! Je comprends mieux à te lire pourquoi je suis resté totalement froid devant le film auquel je n'ai strictement rien compris de A à Z.
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Message  Estuaire44 Mar 20 Juin 2023 - 20:30

Merci pour cette critique très substantielle !  Je conserve un (très) lointain souvenir du roman, littéralement lu au siècle dernier. Mais je me souviens d'un grand livre imparfait, absolument épique dans sa première et dernière partie, mais avec un long entre-deux, avec une accumulation de description devenant parfois longuette. la faute à un style littéraire certes correct, mais pas flamboyant, et à des personnages demeurent trop standardisés (IMHO). je trouve que l'on retrouve cela dans le film, mais que Kubrick enjambe l'obstacle par la splendeur visuelle et musicale de ses plans. Par la voix aussi, celle de HAL apporte toute une dimension supplémentaire à l'entité, en plus d'un Œil rouge ne cillant jamais, digne du Mordor.

La fin du film (auquel je crois que Clarke a participé, à vérifier) est effectivement davantage spéculative que celle du roman, cela ne m'a pas dérangé, avec un plan définitivement légendaire et un refus classieux de s'engager dans l'adaptation mercantile des volets suivants (que j'ai trouvé moins réussis, mais ne pas se décourager !). Kubrick aura toujours préféré crever que de devenir commercial, on ne peut pas lui enlever ça. Chez Clarke j'ai clairement préféré Rendez-vous avec Rama, l'un des chefs d’œuvre de la Hard-Science.


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Message  Dearesttara Mar 20 Juin 2023 - 21:29

Merci Camarade et merci Estuaire !
Très belle défense du film, effectivement le côté sec du roman est souvent déjoué par la musique et la mise en scène, ça ne m'a pas trop suffi pour que je sois emporté par le film mais je crois qu'un autre que Kubrick se serait bien plus cassé les dents. Rama est dans ma bibliothèque, ce sera pour plus tard.
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Message  Estuaire44 Mar 20 Juin 2023 - 21:32

Il avait été question d'une adaptation de Rama au cinéma par Villeneuve, mais je ne sais pas où en est le projet, suspense !
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Message  Camarade Totoff Mer 21 Juin 2023 - 13:39

La SF n'est pas ma tasse de thé mais je ne ferme pas la porte à en lire davantage.

De quoi parle "rendez-vous avec Rama" ? D'un thé avec le roi de Thaïlande (dont tous les souverains portent le nom dynastique de "Rama"; c'est le 10ème qui règne actuellement) ?
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Message  Estuaire44 Mer 21 Juin 2023 - 16:18

En référence à  la mythologie hindoue"Rama" est le nom de code attribué à un mystérieux et colossal vaisseau cylindrique apparu dans le système solaire. Le roman est l'histoire de son exploration par les Terriens, l'auteur y entremêle scientisme et saga épique de manière, je pense, plus dynamique que dans 2001, où les descriptions s’amoncellent parfois. On va de découverte en découverte, tandis que le récit s'enrichit de divers thèmes, comme celui des vaisseaux-mondes alors envisagés par certains experts pour coloniser l'Espace.  Grand roman.
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Message  Dearesttara Sam 30 Sep 2023 - 9:53

Achevé Frankenstein de Mary Shelley, un classique que je ne connaissais pas et qui me rendait curieux. Si je ne suis pas complètement convaincu par le roman, je suis extrêmement admiratif des idées de l'autrice et de son ancrage permanent à l'émotion, qui lui permet de maintenir une dérangeante complexité morale.

Le roman accuse certains traits de son temps certes, comme un style parfois ampoulé (rien à voir avec l'élégance d'Austen), une structure en arche indispensable pour rester à la 1re personne mais qui fait de Walton un terne outil scénaristique, un des premiers héros byroniens - modèle aujourd'hui rejeté sauf en romance - des monologues intérieurs et des descriptions puissamment répétitives. Aussi quelques fils restés en suspens (que devient Ernest, le frère ?). Mais au-delà de cette forme vieillie, on ne peut nier l'excellent mélange de psychologie et d'horreur qui parfume Frankenstein. Shelley ne cherche pas à nous retourner le cerveau, elle inscrit son histoire sous l'égide de la tragédie, et nous ne pouvons que regarder impuissant la longue chute de Victor Frankenstein, puni par son ego et dévoré par le remords, comme tout héros grec qui se respecte.

Est-ce parce que c'est une autrice mais j'ai trouvé que les personnages masculins de Frankenstein étaient surtout valorisés par des qualités tels que l'amour, la tendresse, la discrétion, les méditations intimes, des qualités "féminines" pour l'époque. Cela rend ces hommes très touchants. Certes, les personnages ont tous l'air de se ressembler mais Shelley en tire une force par un jeu de contrastes dus aux expériences de vie : la noblesse digne d'Alphonse le patriarche, la gaieté de Clerval, la dignité impuissante de Walton ou l'innocence fêlée d'Elizabeth.  Avec une cruelle ironie, le Monstre est bel et bien formé dans un même moule, né pour l'amour et devenu fléau par le rejet perpétuel dont il est l'objet. Il est visible que Gaston Leroux s'est inspiré massivement de la Créature pour son Fantôme de l'opéra tant ce dernier répète un discours identique à son prédécesseur (Il ne m'a manqué que d'être aimé pour être bon dira Erik à Christine). La destruction successive de l'entourage de Victor est sans cesse tragique, terrible et choquante par sa cruauté perverse, et ponctue le récit de maintes pointes d'horreur. Mais le récit du Monstre, attendant longtemps avant de parler à l'humanité pour en être rejeté définitivement (hormis, belle ironie, par un aveugle) prend aussi au coeur. Le livre est avant tout la chute déchirante d'un homme qui a défié la Nature jusqu'à devenir ironiquement la Nature dans ses pires aspects : mû juste par une pulsion, une survie, un instinct de tuer pour survivre... tout comme sa créature.

Moins un roman d'action, il me semble que Shelley signe là un des premiers romans purement psychologiques et avec un brio hallucinant pour une jeune femme entre 18 et 20 ans. Je veux bien croire que Percy a contribué un peu au roman mais aux dernières nouvelles, c'était une contribution mineure, et on ne peut qu'applaudir Shelley pour un tour de force accompli si jeune. D'ailleurs, avec sa créature échappant au contrôle de son créateur, l'autrice ne signe rien moins qu'un des tous premiers romans de SF prédisant le sujet du robot, à la fois si proche et différent de l'humain. Et le résultat est d'un trouble moral stupéfiant. Car bien que la créature sème le chaos, on ne peut s'empêcher de prendre en pitié sa terrible isolation, son manque d'amour, y compris quand Frankenstein commet le choix terrible d'abandonner la construction d'une compagne du Monstre, scellant ipso facto son destin. Mais le dilemme de Frankenstein sur la possibilité de relâcher une menace à long terme sur les humains n'en est pas moins fort.
La faiblesse des rebondissements est manifeste, et le dernier quart du roman m'a paru interminable tant Shelley prolonge ad nauseam l'avilissement de son héros mais je l'avoue, je ne m'attendais pas à une aussi excellente conclusion lorsque la conscience dévorante qui tue finalement Victor tue aussi le Monstre, tout en respectant sa mégalomanie (un bûcher funéraire au Pôle Nord, franchement...), et au terme d'un ultime monologue désespéré et ravageur. Shelley est bien une maîtresse de la tragédie. A la fin, on ne peut que plaindre ces deux héros malgré l'horreur de leurs actes.

Faiblard au niveau de la forme et des rebondissements, Frankenstein n'en témoigne pas moins d'une époustouflante maestria quand il s'agit de peindre la chute intime de deux âmes avilies, l'une par elle-même, l'autre par l'humanité. Il est brillamment cruel, novateur dans ses portraits masculins, évocateur par sa Nature sublime, seule victorieuse après sa souillure passagère, et déchirante par ses explorations psychologiques, et enfin audacieuse en tant qu'une des pierres angulaires de la SF (même sous les traits du gothisme et 1600 ans après A True Story, le premier space opera). Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley se lit toujours avec admiration et émotion 200 ans après. (***)


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Message  Estuaire44 Sam 30 Sep 2023 - 14:50

Superbe étude, merci ! cheers
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Message  Camarade Totoff Lun 2 Oct 2023 - 10:41

Splendide ! Je te rejoins en tout point ! Le style de Mary Shelley est très XVIIIème alors que son roman est d'une très grande modernité. Trop moderne pour l'époque d'ailleurs, il n'a pas eu de successeur.

Il me semble que Francis Lacassin, essayiste et éditeur pour qui je ne cacherais jamais mon admiration, en a fait le tout premier roman de science-fiction de l'Histoire.
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Message  Dearesttara Lun 2 Oct 2023 - 11:45

Merci Camarade ! J'ai en effet été frappé par ce mélange de style ancien et d'idées novatrices.

Techniquement, Frankenstein n'est pas le premier roman de SF, cet honneur revient à Histoire véritable, un roman satirique de Lucien de Samosate écrit au IIe siècle qui raconte un voyage dans la Lune et des rencontres aliens
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Message  Dearesttara Ven 12 Avr 2024 - 19:27

Je vais être sévère, mais après le flamboyant trip de 2001, c'est l'impression d'une régression générale qui me domine avec Rendez-vous avec Rama d'Arthur C. Clarke, brillant exercice de style et de Hard SF... et pas grand-chose d'autre.

Bien des qualités de 2001 sont présentes, en premier lieu le concept de décrire minutieusement le quotidien, parfois long, d'une mission d'exploration, avec allers-retours sur la Commission scientifique. En faisant de la prudence le maître-mot de la mission de L'Endeavour, Clarke imprime un réalisme qu'on ne retrouve pas toujours dans le space opera de l'époque (j'adore Star Trek mais après ce livre, l'équipage me semble d'un coup très tête brûlée, enfin à part Spock). Il est stimulant de voir ces planifications réfléchies de Norton & Cie, les risques calculés, les plans à changer quand surgit l'Inconnu, négatif ou non. Sur ce point, Rendez-vous avec Rama va au-delà de 2001, jusqu'à prendre franchement des allures de cinéma-vérité (et à dater une catastrophe planétaire le jour du... 11 septembre). On apprécie quelques femmes présentes dont la médecin-chef et quelques-unes de la Commission. On pourrait ergoter qu'elles restent très minimalistes mais pour être franc, aucun personnage n'est vraiment dessiné, ce qui nous mène aux défauts du bouzin.

Le parti pris de Clarke de n'avoir que de rigoureux professionnels, comme on l'attend de tout astronaute, est brave mais me semble apporter plus de problèmes que de qualités. Le cast demeure en papier, chacun n'est vu que par le prisme de ses spécialités. Même les moments plus humains comme le flirt entre Norton et Ernst, ou Paks proposant une exploration en véloptère sont vite étouffés par la glaciale logique des personnages. Ce réalisme se traduit ainsi par un manque déconcertant de relations ou de personnalités. Ce défaut était présent dans 2001 mais Clarke le compensait pleinement par de vibrants antagonistes comme les adversaires de Guetteur de Lune ou ce bon vieux Hal, ou encore une description prégnante de la solitude spatiale, des dangers de l'ultime frontière, sans parler d'un climax renversant.

Rien de cela ici, les Hermiens, en coulisses tout le long, ne sont au mieux qu'un dérangement éphémère (le désamorçage de la bombe se fait avec une facilité déconcertante), tandis que l'environnement mystérieux de Rama se montre cruellement moins prenant que n'importe quel adversaire doué d'intelligence. Je regrette mais Rama ne m'a jamais fasciné. Ce n'est ni plus ni moins qu'un monde statufié, quasi mort, aux éclats aléatoires. Sous la surface, il n'y a rien ou plutôt rien que l'on sache. A force de dépeindre les vides, le roman finit par approcher le zéro absolu, jusqu'à un anticlimax encore une fois "réaliste" mais sans aucun pouvoir dramatique. Je salue Clarke d'avoir basiquement raconté une mission insatisfaisante, débouchant sur quelques vagues promesses sans rencontre notable du 3e type (les créatures restent des silhouettes). C'est sans doute ce qui arriverait de plus probable si un jour un vaisseau comme Rama se perdait dans notre système solaire. Le pari demeure in fine vain. Le groupe vaillamment soudé désamorce tout danger interne. Les vicissitudes humaines n'intéressent pas Clarke ici, l'effet de l'Espace sur des pros non invincibles non plus. Clarke passe beaucoup de temps à gloser sur les dangers cachés de Rama mais chaque équipier s'en tire sans trop de mal. Si j'étais méchant je dirais que le roman est cohérent avec Rama : terne, proche du vide, aux éclats passagers.

Au terme de ce roman, je me dis que paradoxalement, j'ai plus de chance d'apprécier les sequels, qui apparemment sont du space opera plus normalisé. Je suis allé au-delà de l'univers connu dans 2001, l'expérimentation façon docu de Rendez-vous avec Rama m'a laissé, elle, sur la Terre. (**)
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Message  Camarade Totoff Ven 12 Avr 2024 - 21:04

Une critique bien répulsive ! On n'est pas à Rama 1/2 !
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Message  Estuaire44 Sam 13 Avr 2024 - 0:57

Critique acérée, dont j’apprécie le pouvoir destructeur évoquant davantage Shiva que Rama. Mon souvenir de Rendez-vous (certes à peu près aussi lointain que le Grand Nuage de Magellan) demeure davantage enthousiaste. Je reconnais que le bouquin accumule les difficultés. Il est ainsi souvent vendu comme du Space-Opera, alors qu’il s’agit de Hard Science presque caricaturale, de quoi doucher bien des enthousiasmes. Le bouquin accumule à plaisir les personnages et achève de devenir davantage un catalogue qu’un roman par la multiplicité des thèmes scientifiques alors en vogue qu’il aborde. De l’approche des objets pénétrant dans le Système Solaire en provenance de l’Espace profond, aux Vaisseaux-mondes permettant les voyages démesurés de colonisation spatiale par la succession des générations à son bord, en passant par les diverses conséquences d’un modèle cylindrique, Clarke multiplie les théories et modèles récoltés auprès de ses amis de la NASA.

Il tisse une intrigue prétexte pour lier le tout sans trop se soucier d’ambition littéraire ou d’approfondissement des personnages. Les concepts priment, dans une approche clinique et scientiste au possible. C’est intelligent et froid, même Spock est largué, alors Kirk n’en parlons même pas. Le jargon scientifique est ici vraiment un jargon scientifique, contrairement aux savoureux délires des dialoguistes de Star Trek. Le roman a croulé sous les récompenses et est devenu culte instantanément. Les jurés n’adorent jamais rien tant que les ouvrages célébrant l’intelligence de la SF et ses dimensions technologiques, assez comme l’Académie fêtant La La Land pour sa glorification toute en rubans et  mignardises de la City of Stars. Célébrez-nous, nous vous célébrerons.

Alors, pourquoi ai-je aimé ? D’abord on ne saurait tout à fait exclure que je sois un esprits pervers, le risque est réel. Et puis j’ai apprécié que Clarke aille au bout de son concept, sans concession aucune. Cela avait de la gueule et fait du livre la quintessence du genre Hard Science, lui assurant sa place au sein de la petite histoire de la SF. Sa lecture en devient ainsi appréciable, quitte à s’assimiler à une visite de musée. Que le roman soit peuplé de silhouettes ne m’a pas dérangé car en définitive il n’y a qu’un seul personnage, le vaisseau lui-même. Les autres ne forment que le menu de l’audioguide du musée, ils assurent la visite, ils remplissent une fonction. C’est nous qui avons rendez-vous avec Rama, et personne d’autre.

Et j’ai trouvé cette visite souvent captivante et surprenante, aussi imaginative que rigoureuse, sachant combiner détail technique et sens de la grandeur. On serait dans un RPG, on se dirait que le DM a bien bossé,  on se situe au niveau du Dossier Technique de l’Étoile de la Mort. Et puis, entre les lignes, malgré la froideur j’ai ressenti l’enthousiasme. Pour nous faire rêver à la conquête spatiale, on peut exalter sa geste future, comme Star Trek et le Space Op, ou on peut aussi entreprendre de nous expliquer le plus prosaïquement possible comment elle pourrait être possible (sans avoir à ouvrir les Portes de l'Enfer, hein). Rien que cela c’est être In Search Of Wonder, comme le narrait Damon Knight.


Dernière édition par Estuaire44 le Sam 13 Avr 2024 - 8:36, édité 1 fois
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Message  Dearesttara Sam 13 Avr 2024 - 2:13

Merci encore et encore pour ces précisions et explications, c'est si passionnant de te lire, Estuaire, on a l'impression d'avoir gagné plusieurs points d'intelligence après ta lecture Very Happy
De tous les romans de SF que j'ai pu lire, c'est celui dont j'ai l'impression qu'il aurait le plus de chances d'arriver. Cela veut-il dire que l'exploration spatiale future restera déprimante ? J'apprécie derrière une sorte d'ironie, l'auteur résolvant à sa manière le paradoxe de Fermi tout en rendant la rencontre alien frustrante. Clarke ne nous trollerait-il pas un peu ?
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Message  Camarade Totoff Sam 13 Avr 2024 - 7:20

Bien d'accord pour les points d'intelligence ! Et bonnes questions. La seule valable serait à mon sens : la conquête spatiale a-t-elle un sens ?
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