Romans de Fantasy
CHAPEAU MELON ET BOTTES DE CUIR - LE MONDE DES AVENGERS :: Le CAFÉ Avengers (Ouvert sous modération)
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Re: Romans de Fantasy
J’ai aimé que leur philosophie et leur magie diffèrent totalement de celles, très D&D, des fracassés de l’Université. Bien plus proche du Vif que de l’Art, la Sorcellerie apporte de la variété à l’univers, mais aussi une expérience du quotidien et des rudes trivialités de l’existence qui évite au Disque-Monde de virer à la simple pochade absurde, aussi brillante soit-elle.
Mémé et les autres apportent un sens du réel prosaïque et une sagacité rendant la dinguerie du monde plus prégnante par contraste. Quand tout est fou, la folie redevient normalité et Mémé et autres se dressent face à ce péril. Les Sorcières se rendent aussi réellement utiles aux petites gens, moins par magie que par l’accompagnement, j’ai aimé l’idée que la grandeur puise aussi être simple, voire humble. Tout ce qui à comme un goût d’authentique, davantage que l’In Octavo et les bananes, à mon avis.
Par ailleurs j’ai trouvé l’intrigue du jour agréablement complexe et les personnages finement dessinés, chacune des trois possède une personnalisé bien à elle, ce qui n’empêche pas le convent de former un vrai groupe (je n’ose pas évoquer ici le Pouvoir des Trois), certes déséquilibré. J’ai trouvé que voir un groupe aussi chaotique être chargé de rétablir l’équilibre des pouvoir et l’ordre naturel relevait d’une ironie subtile.
Terry Pratchett nous emmène dans ce voyage plein de magie et de force féminine, il démontre son incroyable capacité à construire des personnages tridimensionnels et authentiques, les enchevêtrant dans une série d'événements hilarants et inattendus, qui ravissent et en même temps déstabilisent le lecteur. Chaque page se lit avec le sourire, tandis que la tension de l'intrigue principale progresse en arrière-plan.
Plus qu'une Fantasy traditionnelle, Trois sœurcières est le reflet de l'esprit et du sens social de Pratchett. À travers son récit, le roman dresse un portrait satirique de la société, joue avec les stéréotypes de genre et propose des commentaires mordants mais légers sur la politique, cet art de la manipulation, ce théâtre des apparences. Car le théâtre reflet du monde en apporte bien sûr la meilleure des métaphores. « Le monde entier est un théâtre, Et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs. Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles. » disait le Barde.
Plus qu'une séquence de gags ou un simple pastiche fantastique, c’est un livre doux-amer et plein d'humanité, avec des personnages qui touchent et des moments qui font rire aux éclats. Ce sera souvent la marque des Chroniques des Sorcières du Disque, y compris celle de la formidable Typhaine Patraque. Ici, Terry Pratchett démontre que l'humour peut être un instrument puissant pour raconter des histoires pleines de vérité et d'émotions profondes. Son incroyable capacité à équilibrer les moments hilarants avec les moments touchants est ce qui donne à ce roman son charme unique.
Estuaire44- Empereur
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Re: Romans de Fantasy
Moi, j'ai adoré comment "MacBeth" est digéré par Pratchett pour en faire le substrat de son roman. Je suis certain que, si j'avais connu plus intimement cette pièce, j'aurais vu davantage de correspondances et d'emprunts sans compter l'ironie.
Les sorcières sont de vrais personnages qui prennent de l'ampleur ici. On connaissait déjà Mémé et son sens aigu de la magie du quotidien. Nounou et Magrat (qui est à l'origine du convent si je me souviens bien ; une idée qui n'enchante pas la solitaire Mémé) deviennent ses comparses mais chacune avec ses caractéristiques. Nounou est la mère de famille qui a toujours un œil sur sa progéniture. Magrat est la jeune fille qui promet. A elles trois, elles sont les trois âges et leur nombre renvoie...à la pièce de Shakespeare !
C'est vrai qu'elles sont moins folles que les mages mais elles sont aussi bien plus utiles ! L'Université est une bulle centrée sur elle-même quand Mémé est partie prenante de la société. "Sorcière" renvoie ici davantage à ces femmes qui connaissaient les plantes, savaient les préparer et rendaient un service à la communauté qu'à l'image délirante forgée par l'Inquisition (et je place ici un renvoi à la mini-série "Filles de feu", absolument géniale).
Je continue à penser que ce roman est fait de la même matière que les rêves.
Camarade Totoff- Prince(sse)
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Re: Romans de Fantasy
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Re: Romans de Fantasy
C'est amusant, agréable à lire mais c'est assez basique comme construction et très linéaire. Le démarrage est poussif. Une seule personne au départ (Lucy) entre à Narnia mais, évidemment, personne ne la croit. Puis deux (Lucy et Edmund) mais il lâche sa sœur et, enfin, tout le monde. C'est bon ? On peut y aller ?
Il y a peu de suspense car il est inimaginable que la sorcière puisse l'emporter. En revanche, c'est plus intéressant de voir que c'est d'abord l'espoir du retour d'Aslan qui fait bruisser Narnia. Le sous-texte chrétien, qui devient clairement visible au moment du sacrifice et de re-retour d'Aslan (qui a dit "Résurrection" ?), est évident.
Les personnages manquent de caractérisation. La Sorcière est l'ennemie dont toute la motivation semble être de diriger dans la terreur. Basique. Les enfants sont eux-mêmes peu définis surtout Peter et Susan. Lucy est privilégiée car elle croit tout de suite quand les autres ont besoin de "preuves". Saint Thomas es-tu là ?
Edmund est le plus intéressant, et de loin, car c'est le seul qui évolue. Il se montre clairement méchant avec Lucy au départ, la trahit (et les autres aussi) pour des loukoums (mais Joseph n'a-t-il pas été vendu par ses frères pour un plat de lentilles ?), rejoint la Sorcière avant de se rallier du côté d'Aslan. J'oserai que je le comparerai à Saint Paul qui combattit les chrétiens avant de recevoir la Révélation en pleine face sur le chemin de Damas. Bref, Edmund représente les Gentils (les païens) qui, méchants au départ, reconnaissent in fine le Sauveur. Et puis, n'est-ce pas chrétien que de pardonner à ceux qui ont chuté ? Sans faute, pas de pardon. (**)
Camarade Totoff- Prince(sse)
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Re: Romans de Fantasy
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Re: Romans de Fantasy
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Re: Romans de Fantasy
Casier n'a certes pas le mordant de Toubib, mais j'ai vraiment apprécié l'ensemble. Comme dans Le Château noir, ce sont les invités du jour, soit le quatuor fracassé et dysfonctionnel qui fait mumuse avec La Pointe d'argent renfermant l'essence du Dominateur, qui se taillent la part du lion. Cook cache très bien son jeu car si on commence par croire que les frérots Smed et Tully vont mener la barque, c'est bien ce sacré Pépé le Poisson qui va vite prendre l'initiative. Tout le roman est une merveille de plans de survie stratégiques où Poisson échafaude plans fumants sur plans fumants, sauvant la plupart du temps les miches de tout le monde, échouant parfois, mais rebondissant toujours. L'intellect sera ravi de ces plans qui se déroulent avec accrocs, rehaussés par les dissensions du quatuor. Cook aurait pu se contenter d'une parabole efficace mais prévisible sur l'avidité humaine, mais astucieusement ajoute à ce pamphlet une exploration fascinante des peurs et des frustrations des personnages. En se concentrant aussi sur la descente morale de Tully, passant de leader à boulet du groupe, Cook fait sa propre version des affres du survivalisme, où la pression alentour peut faire craquer n'importe qui. L'auteur réussit aussi à monter sans cesse la tension en rajoutant régulièrement de nouvelles emmerdes : impériaux chauffés à blanc, sorciers barbouzes, huis clos de la ville verrouillée, famine et choléra, Rose blanche arrivant au bal des fêlés, Boiteux en mode full chaotic evil total... C'est simple, le roman est un modèle sur comment faire monter la tension jusqu'à ce que tout pète (avec du gore copieux, évidemment, le Boiteux aura bien dégusté). Coup de cœur pour Saigne-Crapaud le Chien, déjà bien gratiné dans le volume précédent et qui restera comme le toutou le plus hardcore de l'histoire de la fantasy. On apprécie toujours le vent de folie dure qui souffle depuis La Pleine de la Peur, avec des menhirs parlants plus lysergiques que jamais.
Évidemment, on attendait aussi beaucoup du traitement de nos héros restés dans le Nord. Cook laisse toute place à Corbeau, et se livre à une saisissante décomposition du personnage. Malgré quelques retours de flamme, La pointe d'argent se montre sans fard sur la décrépitude de cet homme si effrayant et efficace autrefois, et aujourd'hui moulu par la vieillesse mais surtout par l'impossible réconciliation avec la Rose blanche. Voir Corbeau s'acharner à reconquérir la jeune femme tout en enchaînant humiliations et revers reste un spectacle pathétique (dans le bon sens du terme) qui saisit. Silence, Bomanz, Casier et la Rose restent égaux à eux-mêmes mais participent aussi à cette impression de déliquescence. Malgré la force d'âme de la Rose, on sent bien que la discipline de fer de la Compagnie Noire leur manque et l'équipe ne cesse d'accumuler les erreurs face à un stratège certes malin mais qui n'aurait pas dû leur causer autant de problèmes. Toubib disait qu'il était rare qu'on démissionne de la Compagnie, c'est plutôt jusqu'à la mort le deal, et il semble bien que le quintette en soit la démonstration. Sans synergie, incapable d'exploiter efficacement leurs puissants atouts, contrariée par des relations glacées sans la fraternité de la Compagnie, tout concourt à diriger nos héros vers une conclusion sombre, et sur ce point Cook n'hésite pas à faire son Martin avant la lettre, ça tombe à tout va. Le Boiteux se sera révélé un sacré adversaire. Le final avec Rose et Casier se montre touchant par son désenchantement total. Aucune consolation dans la morale finale, le personnage le plus dominant du roman trouve une fin volontairement ridicule et celui qui s'en sort le mieux est un pédophile. L'auteur évite pourtant la complaisance, La Compagnie Noire est dans un univers où il n'y a ni justice ni mérite. Le hasard malheureux et la mort injuste frappent sans distinction, et c'est ce qui rend la parfois grandeur des personnages si tragique. Bon, on peut ergoter sur quelques détails, comme une bataille finale frustrante de brièveté ou se demander pourquoi l'Arbre-Dieu n'a pas dès le début ouvert son portail dimensionnel, ou comment Casier a eu accès aux péripéties des 4 voleurs. Mais qu'importe, ce volume est un des diamants noirs de la saga, refermant avec brutalité mais aussi avec habileté les derniers arcs de sa 1re période. (****)
Dearesttara- Roi (Reine)
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Re: Romans de Fantasy
Estuaire44- Empereur
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Re: Romans de Fantasy
Pour la technologie, je n'ai pas le souvenir d'un développement de ce côté-là. Peut-être est-ce davantage le cas dans les Livres du Sud, Shadow Games a été écrit avant The Silver Spike mais j'ai choisi de lire le dernier en premier sur conseil quasi unanime des fans (merci reddit).
Dearesttara- Roi (Reine)
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Re: Romans de Fantasy
Thune est en effet le 8ème fils d'un huitième fils (comme Ek) et l'action se disperse entre Ankh-Morpok et Al-Khalif sans compter la redite du personnage de Conina (on a déjà eu une fille barbare).
ON connaît l'adage : le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument. Ce roman en est l'illustration. Amené par Thune, le Sourcellier, la magie déborde à flots. Du coup, les mages ne se sentent plus et, plus ou moins aisément, se laissent gagner par l'abus de pouvoir avant de se combattre sans que l'on sache bien ce qui amène ce dérapage et pourquoi le Sourcellier n'y met bonne garde. A moins que son bourdon ne veuille l'anéantissement des mages par rancune.
Certes, on ne s'ennuie pas car l'action fuse comme la magie mais ça ne mène pas très loin et on finit même par revenir au point de départ.
Globalement, les personnages ne sont guère caractérisés. Les mages sont interchangeables et aucun ne se démarque. Conina est aussi fadasse que badasse. Le Shérif amuse par son alcoolisme poétique mais ne pèse pas sur l'action. La palme de l'inutilité reste Nijel même si on doit saluer l'idée géniale, mais non aboutie, de "l'apprenti barbare" qui a lu tout le manuel (sic !). Le Bibliothécaire a plus de présence ici et apporte de l'humour (tout le monde comprend ses "Oook" !) mais aussi de l'utilité.
Scène cocasse que de voir Guerre, Pestilence et Famine se mettent une mine à la taverne plutôt que d'aller apporter "l'Apocralypse". C'est pas dans Supernatural qu'on aurait vu ça !
Reste le plaisir de revoir Rincevent, l'anti-héros absolu et qui entend le rester. A Conina qui lui demande s'il fait exprès d'être inutile, il répond que, quand il se rend utile, ça ne lui attire que des ennuis ! Et bien, notre "maje" est tout de même héroïque à sa manière et j'avoue que la fin a un petit côté émouvant.
Déception relative tout de même (**)
Camarade Totoff- Prince(sse)
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Re: Romans de Fantasy
Estuaire44- Empereur
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Re: Romans de Fantasy
Dearesttara- Roi (Reine)
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Re: Romans de Fantasy
Le livre apporte une nouvelle perspective car nous ne sommes plus dans le décalage d'héros de notre réalité aboutissant à Narnia, mais bien d'une histoire entre héros natifs de là-bas. De fait, le ton du livre est plus normalisé, devenant une fantasy encore plus classique, toujours adorné du ton parfois infantilisant de l'auteur, justifié pour son jeune public mais décidément lourd une fois passé l'âge. Ce changement de la portal fantasy à la high fantasy se ressent aussi dans l'écriture, avec une déperdition malvenue. Le grand atout de Lewis est à mon sens son génie du merveilleux et de l'immersion, et on sent que ça se faisait à l'unisson des humains de la Terre découvrant cet univers aussi magnifique que dangereux. Or, même si Narnia est dépeinte comme plus attractive que Calormen, le sens du merveilleux ne peut être aussi prégnant pour un natif. De plus, nous savons à quoi ressemble la province sud de Narnia depuis Le Lion, la sorcière blanche et l'armoire magique et de fait Lewis recourt à des descriptions plus génériques et assez doublons. Toute la première partie à Calormen semble également moins l'inspirer, on sent que Lewis n'arrive pas à se dépétrer de l'influence moyen-orientale de cet empire qu'il relate sans éclat particulier. A contrario, la province de Narnia est bien une pure création imaginaire, même si puisant aux contes de fées. Cela dit, je me demande si les géniaux créateurs d'Avatar le dernier maître de l'air (éblouissante série animée de fantasy, meilleur worldbulding vu à l'écran) ne se sont pas inspirés de Tashbaan tant la cité d'Omashu y ressemble trait pour trait. L'influence de Narnia est décidément partout.
Les défauts habituels sont toujours présents : les personnages demeurent faiblards, Shasta est terne, Aravis semble tout feu tout flamme mais dégage plus de fumée que de feu, les persos secondaires sont des clichés sur pattes, du vizir poisseux au roi bon en passant par le conquérant 100% diabolique. Seul Bree, le cheval du titre, m'a semblé mieux dessiné, cet étalon orgueilleux qui apprend l'humilité a le meilleur arc du roman, avec plusieurs étapes déstabilisant sa fière stature jusqu'à reconnaître ses limites. Les scènes d'action sont comme d'habitude bâclées (le recours au discours indirect de l'ermite pour raconter la bataille d'Anvard sape le peu de tension qu'il pourrait y avoir). Surtout Le Cheval et son écuyer est sans doute le roman de Narnia ayant le plus mal vieilli. Je pense défendre Lewis contre les accusations de sexisme qui me semblent injustifiés mais l'accusation de racisme, je crains de devoir donner raison. Calormen, malgré la beauté de ces cités, est constamment vue de manière négative, ses habitants à la peau sombre sont à des degrés divers plus ou moins méchants, et leur culture ne pèse pas bien lourd face à la suprématie blan... euh occidentale de Narnia et ses blonds aryens éclatants. Que l'auteur reprenne des éléments négatifs comme les mariages d'enfants est juste (mais bon, l'histoire de l'Europe n'est pas un modèle de ce côté), se focaliser uniquement sur le négatif pour faire ressortir la pureté de Narnia a des relents racistes vraiment désolants. En fait Lewis commet la même erreur qu'Howard, qui pour gagner du temps dans son worldbuilding, ressortait à tout va les clichés puants de son époque pour les peuples du midi et de l'orient.
Cela dit, en se normalisant et en laissant de côté son merveilleux, Le cheval et son écuyer se focalise plus sur l'action. Il est sans doute le récit le plus nerveux des Chroniques, au danger constant, aux attaques perpétuelles, venant d'humains ou de la nature. Il se passe beaucoup de choses en peu de pages, davantage que dans Le Lion... même si cet aspect est fortement minoré par la désastreuse révélation d'Aslan sur les lions, qui rend in fine caduque une bonne partie des péripéties. Lewis aborde également des sujets plus adultes comme l'esclavage, les mariages arrangés, la dureté du métier de dirigeant devant tout sacrifier sur l'autel de la raison d'État... Il y a comme une sorte de dichotomie de Lewis entre le ton parfois infantile et ces sujets qu'il ne survole pas, mais j'applaudis l'ambition. Revoir deux des Pevensie est certes amusant mais j'avoue avoir pas mal apprécié le châtiment de Rabadash par un Aslan qui se sera pourtant démené pour lui donner sa chance. Les allégories chrétiennes n'apparaissent qu'en fin de course mais se voient très bien dosées, entre Shasta s'immergeant dans l'eau d'Aslan à son entrée dans Narnia tel un baptème, ou la pénitence de Rabadash, puni pour avoir rejeté le Christ, enfin Aslan par trois fois, mais dont le pardon lui est accordé malgré tout. La justice n'exclut pas la pitié dit le Lion formidable, dans une remarquable concision d'une belle idée de la religion. Bon, je le trouve un peu dur avec Aravis, mais Aslan n'est pas toujours cohérent quand on parle de châtiment (un aspect qui m'a dérangé dans Prince Caspian). En pure matière narrative, Le Cheval et son écuyer est le plus fluide et vif à lire, mais ses nombreux défauts n'en feront pas le chef-d’œuvre que j'attends toujours au sein des Chroniques de Narnia. (**)
Dearesttara- Roi (Reine)
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Re: Romans de Fantasy
Estuaire44- Empereur
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Re: Romans de Fantasy
Merci pour cette belle critique !
Camarade Totoff- Prince(sse)
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Re: Romans de Fantasy
Mon expérience en art m'a appris que le génie ne s'exprime pas forcément par l'innovation, une synthèse parfaite de codes (un tour de force pas plus facile qu'innover) en est aussi le fruit. A ce titre, Bottero convoque plusieurs codes éprouvés : une jeune Élue, des pouvoirs se réveillant, des sidekicks souvent amusants parfois dramatiques, une portal fantasy de base, de la tension sexuelle, des vannes, une quête des origines, un monde à sauver, l'exercice redoutable du flat arc, ce genre d'histoires où le héros évolue peu mais chamboule tout autour de lui (mon exemple préféré reste Retour vers le futur)... Bref, que du déjà vu ? Point du tout ! Le regretté auteur tire toute la substantifique moëlle de ces codes et du roman d'aventures bondissant, léger, grave a tempo, aux multiples rebondissements. Ayant le même goût pour l'enchantement pur que C.S. Lewis, Bottero s'inspire manifestement de Narnia pour sa Gwendalavir, avec un identique talent. Mais là où Lewis a du mal à proposer autre chose qu'un nouveau monde exaltant, Bottero dessine avec soin ses personnages, leur donne des failles, étrangetés, codes moraux parfois en porte-à-faux de leurs archétypes de départ, la recette parfaite d'une bonne écriture, malgré les contraintes du flat arc. J'ai aimé Ellana, une badass qui en dit tellement par... ce qu'elle ne dit pas. J'ai aimé Salim, vaillant ami de l'héroïne qui s'embarque avec elle quel que soit le danger avec un enthousiasme permanent (même si la peur n'est jamais loin). J'ai aimé Edwin, le guerrier total assumant parfois difficilement les conséquences de son leadership. J'ai aimé le côté concon mais brave de Bjorn (qui m'a fait souvent penser à Bolin dans La Légende de Korra, c'est un compliment). J'ai aimé le côté faussement atrabilaire de Duom. Seul Maniel n'est pas développé mais il est réaliste qu'un garde humble ne faisant que son devoir reste dans l'ombre. Et bien sûr, Camille, héroïne naïve, courageuse, déterminée, aux quelques sursauts d'égoïsme pour éviter d'être une parangon, bref, le personnage idoine pour mener la barque. L'émotion bien ancrée, Bottero peut dévider sa palpitante intrigue.
J'ai à peu près tout aimé dans cette trilogie rapide, au worldbuilding brillant, au système de magie très original (le Dessin)... en fait Bottero a créé un monde si grand, si bouillonnant d'idées qu'il n'a même pas le temps d'en tirer toutes les conséquences (mais je suppose que les trilogies spin-off les explorent, le clochard de Paris mériterait de revenir). Pour autant, ces idées ne sont jamais encombrantes, elles participent à cette épopée enivrante de beauté et d'effroi. Ses scènes d'action frétillent de danger et de résolutions au bout du suspense — le combat final du 1er livre est un modèle de stratégie diabolique. Tout le long de la lecture, c'est une excitation de gosse qui m'a parcouru, tournant frénétiquement les pages pour tomber sur une nouvelle rencontre saisissante, une révélation tonitruante, un tendre/hilarant moment de complicité, un lieu débordant de magie surprenante, un monstre horrifiant, dans un rythme d'enfer. J'ai apprécié que les moments sur notre monde ne se montrent pas moins passionnants que Gwendalavir, sur Terre aussi on peut vivre d'incroyables aventures. Un distinguo assez rare en portal fantasy.
Mais si les deux premiers tomes sont à peu près parfaits, l'enthousiasme est légèrement retombé avec le volet final. Pris au piège d'une structure imparfaite, l'intrigue principale s'achève au 2e volume, et Bottero doit se tourner vers son intrigue secondaire. Mais passer de "sauver le monde" à "retrouver deux personnes disparues" relâche la tension un peu trop. Surtout, le tome 3 accumule les deus ex machina, les résolutions "magiques" devenant moins astucieuses et plus "coup de bol", en violation de la 1re loi de Sanderson. Surtout, avant ce livre, Bottero avait excellemment équilibré ses persos masculins et féminins. Dans le dernier tiers, ces femmes gagnent en force et en indépendance non par elles-mêmes mais parce que les mecs rétrogradent ou sont ridiculisés. A certains moments, Ellana et Camille sont moins des femmes fortes que des girlboss. Une certaine gifle assénée dans ce livre est censée être un moment d'indépendance, elle est surtout d'une cruauté injustifiée. Ellana qui demande à la fois l'égalité et la chevalerie, c'était aussi lunaire.
Tant de personnages et d'idées sont laissés en plan car dans ce dernier volume, Bottero n'arrive plus à contenir son imagination qui part en surchauffe (je suis divisé sur le passage de Loup-garou pas garou mais quand même garou). Mais tout cela est en partie compensé par des nouveautés sensationnelles comme ce détour vers un personnage de légende. Coup de cœur pour Éléa, d'abord méchante en sous-main puis félonne grand train aux coups tordus dévastateurs. Je dois avouer que grâce au brio de Bottero, le charme n'a pas réussi à se rompre et j'ai lu ce 3e livre avec un vrai plaisir, à peu près similaire aux précédents.
Une réussite quasiment complète, La Quête d'Ewilan est une échevelée trilogie où prime l'enthousiasme, l'excitation et le merveilleux. Je le dis ici, c'est une des meilleures suites fantasy que j'ai lu de ma vie. (****)
Dearesttara- Roi (Reine)
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Re: Romans de Fantasy
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Re: Romans de Fantasy
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Re: Romans de Fantasy
Pyramides ressemble à bien des égards à une transposition de Mortimer dans l'équivalent de l'Égypte antique du Disquemonde. On retrouve un Bildungsroman à base d'un jeune homme, Teppic, propulsé dans une position qui ne lui convient pas (roi de Jolhimôme), avec une sidekick sexy (Ptorothée) et confronté à un foutoir spatio-temporel. Malheureusement, la comparaison ne tourne pas en faveur de Pyramides. Teppic n'est que peu dans l'action et la plupart des personnages restent des silhouettes aussi plates que Ptaclusp IIa. L'absence d'antagoniste digne de ce nom pèse tout le long. Ptorothée est là pour la déco sinon pour un twist unique, une déperdition après la frondeuse Ysabell. Après nous avoir fait saliver avec un quasi reportage sur la Guilde des assassins, Pratchett fait valdinguer cet amusant préambule, dénotant un sérieux problème de structure (l'histoire proprement dite ne démarre pas avant la moitié du roman). Structure encore affadie par des péripéties amusantes mais qui ne débouchent sur rien comme le voyage chez les philosophes décatis d'Éphèbe. Une nouvelle fois, Pratchett tente de faire son Douglas Adams à base d'humour tornade balançant tout sur son passage, mais malgré quelques vannes bien senties, il ne peut l'égaler. Une frustration encore accentuée par l'éparpillement de personnages commentant l'action mais restant périphériques (les embaumeurs, Chidder, Sale-Bête, Dios...). Au bout du compte, une intrigue maigrelette, aux faibles enjeux émotionnels, et au climax bien plus en fumée qu'en feu.
Pourtant, Pyramides demeure le roman du Disquemonde à partir duquel Pratchett lâche la bride à sa verve satirique. Derrière l'humour dada né de la pagaille spatio-temporelle (le massacre de l'énigme du sphinx ou le concours des chevaux de bois sont joyeusement absurdes), on est assez soufflés par sa critique de la religion. S'il lui arrive de se montrer bassement injurieux envers les croyants (quoiqu'à un degré moins fort que la caricature ayant plombé la fin d'A la croisée des mondes), c'est surtout envers le dogme et les liaisons dangereuses entre pouvoir et religion, que sa plume tire à boulets rouges, et la plupart du temps dans le mille. On rit jaune devant un peuple au cerveau si lavé par la religion qu'il n'arrive plus à agir rationnellement, mais aussi de prêtres prêchant chacun pour leur paroisse et refusant de s'écouter les uns les autres (leurs chamailleries sont à se tordre).
Jolhimôme est un empire en déclin, étouffé par une religion et des rituels sans queue ni tête, n'ayant pas bougé d'un iota en 7000 ans. Pratchett reste toutefois un homme de mansuétude, les prêtres sont plus crétins que méchants, et Dios compose un fascinant personnage : tout puissant mais prisonnier du status quo, au service absolu de l'Empire jusqu'à renoncer au repos de la mort qu'il goûte pourtant de ses vœux, seul homme fort du pays capable de le gouverner sans s'écrouler. Peu de personnages ressemblent à Dios, constamment entre ombre et grandeur mais toujours dans la rigolade !
Cette satire s'étend aussi aux propres intérêts de Pratchett, passionné de sciences et de savoir et les voyant comme une meilleure façon de voir le monde que la religion. Pourtant, entre un docteur cuistre, un mathématicien génial mais tournant à vide, et surtout une philosophie s'égarant dans la pure idiotie (le RDV des philosophes est à se tordre de rire), la verve de Pratchett n'épargne personne. Mieux, avec Chidder, il me semble introduire la fameuse notion de désenchantement du monde chère à Mircea Eliade. Il est naturel que l'ancien monde s'effondre, mais les futurs maîtres du nouveau monde sont bien les commerçants sournois et avides. Le status quo de l'Empire était devenu trop sclérosant, mais au moins on croyait encore à l'enchantement grâce aux dieux, tout comme les Mythologies théistes, erronées sur le plan scientifique, imprimaient une vision du monde empreinte de merveilleux. Si Chidder a beau être sympa, il est symptomatique d'une société tombant peu à peu entre les mains du capitalisme pragmatique. Le Disquemonde prend décidément le chemin de notre réalité, même si je soupçonne qu'il y aura plus une cohabitation avec le divin et la magie plutôt qu'une mort de Dieu définitive. Cela dit, je m'interroge, si les dieux ne sont que des créations des hommes, quid du Créateur, quid de son culte ?
Au fait, Sam Winchester n'a pas l'exclusivité, Teppic était vraiment sur le point de tenter d'embrocher un dieu à l'arme blanche. Avec la guilde des assassins, le pragmatisme de Pratchett va aussi assez loin, n'hésitant pas à montrer la guilde comme paradoxalement plus morale que son extérieur. De tous les motifs d'assassinats, l'argent n'est-il pas le moins ignoble, le moins hypocrite ? Enfin, comment ne pas penser à la tour de Babel avec cette pyramide devenue trop immense, satire de l'égo des hommes, mais aussi de leur volonté sincère de laisser une trace durable en ce monde, dans un distinguo très adroit. L'émotion n'est pas absente avec l'image mémorable de la pyramide des ancêtres soutenant leur descendant lors de l'épreuve du feu.
J'ai été très épaté par la fin. La conclusion attendue du Bildungsroman est ici doublement inversée pour Teppic : ni dans sa vie publique ni dans sa vie privée, il obtient ce qu'on aurait cru, mais il ne va guère s'en plaindre. La prise de puissance finale de Ptorothée ne rachète pas son arc médiocre, mais porte en elle le féminisme de l'auteur, c'est plus bref mais aussi bien moins laborieux que le pensum interminable de La Huitième fille. Enfin, la conclusion de Dios, très à La Quatrième Dimension, est remarquable par son côté fataliste. Pratchett professe son athéisme mais la religion semble si vissée à l'humanité qu'elle ne peut disparaître, pour le meilleur comme pour le pire. Une lucidité que je trouve courageuse.
Malgré une forme une nouvelle fois décevante, Pyramides se montre le plus profond des romans du Disquemonde jusque-là et imprime à la suite une nouvelle orientation vers la satire pointue et le moderne. (***)
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Re: Romans de Fantasy
Le royaume de Teppic est celui où les traditions ancestrales dominent tout, avec les Pyramides qui préservent les pharaons pour l'éternité comme axe principal autour duquel se déroule une vie monotone. De ce point de vue le roman devient un supplément « civilisation antiques » intéressant pour le Disque-Monde, comme il en existe pour D&D ou Warhammer. Le Grand Prêtre compose un personnage à la fois satirique et pathétique, ayant oublié le soubassement moral de sa religion pour n’en retenir que les rituels et la liturgie, devenus immuables. Une figure intéressante, que l’on peut d’ailleurs transposer à des systèmes plus laïcs (Cf. la Ve République en 2024, ou, plus généralement, la bureaucratie).
S'il est vrai que Pyramides constitue un roman relativement dépourvu d'humour, du moins pour l’ordinaire du Disque, ses descriptions et comparaisons apparaissent souvent imaginatives et pétillantes d'intelligence. Cela fait que la lecture nous conserve le sourire aux lèvres, pendant que nous découvrons le prochain cliché religieux que Pratchett va détruire sous nos yeux.Il s'agit également du premier roman du Disque-monde divisé en quatre parties, puisque les précédents racontaient tout le roman du début à la fin sans même le diviser en chapitres. Cela autorise Pratchett à concentrer chaque partie du roman autour d’un thème spécifique, permettant ainsi une lecture davantage structurée. Mais l’ensemble n’est sans doute pas aussi épique qu’il aurait pu l’être.
Estuaire44- Empereur
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Re: Romans de Fantasy
- Tuer une Aes Sedai de cauchemar ?
- Oui ! Bonne réponse ! Vous accédez à notre grande finale Tarmon Gai'don !
Avec ce 11ème volume, Robert Jordan passe enfin la seconde en nous donnant un peu de "grain à moudre" pour citer un grand syndicaliste français.
Elayne, par exemple, accomplit en quatre chapitres plus que dans tout le volume précédent : elle se fait kidnapper, libérer par Birgitte, écrase Arymillia et obtient enfin le soutien d'assez de familles pour devenir reine. Trop mignonne la scène où elle a consigne de faire la lecture à ses bébés : Andor...mira bientôt !
Comme de coutume, l'introduction ne sert pas à grand chose puisqu'on ne reverra plus les Fils de la Lumière qui ont pris cher sur la carafe. Galad Damodred tue le seigneur général Valda en duel. Robert Jordan se fait plaisir en citant toutes les attaques et postures à l'épée.
On ne parle pas trop de poignards dans ce livre mais les épées sont de sortie. Les Seanchaniens se retrouvent confrontés à des actions de guérilla. Cerise sur le gâteau, ils n'ont plus d'Impératrice - qui n'a pas vécu éternellement malgré les multiples mentions - ni de famille impériale et, du coup, l'Empire se déchire. C'est un peu facile. Plus de famille impériale ? Quelque part un membre vit encore. Une princesse farouche et indépendante résiste encore et toujours au vil séducteur. Tuon, puisque c'est d'elle qu'il s'agit, joue avec les sentiments de Mat ("Jouet") avant, au moment de le quitter, libérée par ce dernier, de proclamer publiquement qu'il est son époux ! Elle n'est pourtant pas amoureuse mais il a "juste" accompli les prophéties. Ironie du sort, Mat qui refuse (comme Perrin) d'être reconnu comme seigneur se retrouve "prince des Corbeaux" avec le prédicat d'Altesse ! Pas mal pour un petit gars de Deux-Rivières ! Qui a dit que l'ascenseur social ne fonctionnait plus ?
Perrin lui aussi bénéficie du coup d'accélérateur mis par son romancier de créateur. Enfin, il parvient à libérer Faile (alors qu'en anglais "to fail" signifie "échouer") en s'alliant avec les Seanchaniens. Dans une version érotique du roman, il faudra prévoir un chapitre pour les retrouvailles car, visiblement, le gros loup a les crocs.
En parlant sexe justement, surprise quand on découvre que la Rejetée Aran'gar fut un homme ! Elle taquine Groendal et se montre sensuelle. Robert Jordan vient-il d'introduire le premier personnage transgenre dans son cycle jusqu'à plutôt conventionnel ? On trouve également la mention explicite d'une relation lesbienne ("complices d'oreillers", p. 561) entre Delana et Halima. On retrouve l'expression "complices d'oreillers" à plusieurs reprises (pp. 595, 596, 618) alors qu'elle était très discrète jusque là.
Sinon, ça se passe bien à la Tour blanche où l'action fait du surplace. Egwene poursuit son travail de sape et obtient à nouveau les services de Béonin. Notons qu'Elaida boit trop ; ce qui fait penser à cette autre grande dirigeante, Cersei Lannister. Dans les deux cas, des catastrophes politiques.
Rand est des plus discrets. Alors qu'il n'a pas trop de ses deux mains pour tout faire, il en perd une en se confrontant à Semirhage - qui est à l'origine des troubles chez les Seanchaniens. Autre problème et pas des moindres, il est toujours sujet aux malaises quand il se sert du Pouvoir et Lews Therin parvient à en prendre le contrôle ! Voilà qui n'annonce rien de bon. Rare également Nynaeve (première mention p. 569 ; on a parfois l'impression que les héros du départ sont placés en arrière-plan de l'action. Une façon de les préserver pour le sacrifice final ?) laisse partir Lan vers le Malkier mais, rusée comme une femme amoureuse, elle a une manière très touchante de s'assurer qu'il ne chevauchera pas seul. You'll Never Walk Alone chante-on à Liverpool.
Une idée étrange émerge dans ce roman : lier des Asha'man avec des Aes Sedai. Même l'Ajah Rouge y pense ! Bien sûr, l'idée est de garder le contrôle de ce qu'on ne peut pas empêcher. Le final du roman avec la mission de Pevara à la Tour Noire semble cependant dire que ça ne va pas être aussi simple que les Soeurs le supposent. Vu qu'elles ne doutent de rien, elles n'imaginent pas que la situation puisse leur échapper. La capacité de déni des Aes Sedai est prodigieuse. Quelqu'un a le 06 de Sigmund Freud ?
Passage terrifiant : Thom montre à Mat une lettre écrite par Moiraine - qu'elle puisse mourir éternellement - "qui n'est pas morte" et prétend que trois hommes (Thom, Mat et un autre) peuvent l'aider. Je savais que c'était trop facile que cette sorcière disparaisse aussi facilement dans le ter'angreal.
Plus cocasse : l'Illuminatrice Aludra invente l'artillerie et la dynamite !
J'ai déjà mentionné que je trouvais que Robert Jordan semblait apprécier les fortes poitrines alors je me suis livré à un petit sondage non exhaustif mais révélateur me semble-t-il : "opulente poitrine" (p. 51, 69, 316), "lourde poitrine" (p. 188), "décolleté généreux" (p. 230), "seins majestueux" (p. 256), "impressionnante poitrine" (p. 309), "jolies formes" (p. 312), "seins capables d'en remontrer à ceux de Selucia" (p. 318), "seins voluptueux" (p. 622, 842), "formidable poitrine" (p. 821), "merveilleux seins" (p. 849). On peut ajouter les multiples références aux larges décolletés: "coupe qui exposait une bonne moitié de ses seins" (p. 561), "ses seins largement exposés" (p. 617). Tartuffe en avalerait son mouchoir.
Alors qu'il était loin d'être mon personnage préféré au commencement, Mat effectue une spectaculaire remontée pour accéder à mon Panthéon. Qu'a-t-il fait pour cela ? Flanquer une fessée à une Aes Sedai ! Et de mettre les choses au point avec Joline et Cie. Enfin quelqu'un qui ose (et peut) parler à ses sorcières en face et les remettre à leur place ! Non mais Alléluia quoi ! Notons qu'il est lucide : "Des soeurs futées, il n'en existait pas des masses" (p. 227). et "En les protégeant, il ne s'attendait pas à gagner leur reconnaissance". Il a encore en mémoire l'ingratitude de Nynaeve et d'Elayne.
Je termine sur un froncement de sourcils : les livres d'histoire sont sérieux et austères (p. 830). Je m'élève en faux contre cette affirmation générale ! Non mais sans blague !
(***)
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Re: Romans de Fantasy
Très content de te voir apprécier Mat, plus on avance dans la saga, plus les Aes Sedai se voient contestées (chouette) et réagissent en redoublant d'ego (bruh), une série dans la série oui.
Les renaissances des Rejetés/Réprouvés se font en effet indifféremment du sexe, ça m'a fait pas mal penser à la Régénération du Docteur. Si je me souviens, il y a une fois où on lui a imposé la forme finale d'une régénération, y a définitivement jurisprudence.
Dearesttara- Roi (Reine)
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Re: Romans de Fantasy
Estuaire44- Empereur
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Re: Romans de Fantasy
Adoubé par Michael Moorcock (qui en signe la préface), Graham Greene ou Anthony Burgess, Titus d'Enfer, premier volet du Cycle de Gormenghast écrit en 1946 par Mervyn Peake, est sans doute la lecture la plus singulière et déconcertante du genre fantasy qu'il m'ait été donné de lire. Alors que Tolkien n'en a pas encore fixé les codes perennes, le cycle de Peake, poète avant d'être écrivain, est perfusé à ras-bord de son style unique, fait d'une intense prose poétique, de gothique, de surréalisme et d'absurde. Comme si Emily Dickinson et Samuel Beckett l'avaient écrit à quatre mains.
A bientôt 80 ans d'âge, le Cycle paraît intemporel, neuf, constamment étrange, la patine du temps n'a aucune prise. Cela doit beaucoup à la poésie permanente du langage (coup de chapeau au traducteur Patrick Reumaux qui a dû suer sang et eau pour lui rendre justice). 400 pages de phrases ciselées à l'or fin, Titus d'Enfer est d'abord un enchantement de mots, de descriptions, et surtout d'atmosphère. Car le livre est étonnamment radical : dépourvu de tout élément magique (à l'exception d'un twist central et d'un personnage pouvant parler aux animaux), d'une action minimale, tout est sacrifié au profit d'une mélancolie perçante, d'une angoisse sous-jacente, d'un malaise constant, portées par des personnages jouant un théâtre d'ombres. Titus d'Enfer est sans doute un des livres les plus beaux, les plus aboutis, par sa maîtrise hallucinante des métaphores et des comparaisons.
Au bout de cette marche crépusculaire, une méditation sur le temps qui passe, sur la dépression existentielle, sur les prisons intimes que chacun se construit, y compris les plus révoltés, sur l'impossibilité du status quo, qui se fissure par petites touches malgré les efforts de ses habitants.
Il est étonnant comment en l'espace d'une année, chaque personnage semble vieillir de plusieurs décennies. Un comte vidé de tout qui n'aime que ses livres, une comtesse autoritaire qui n'aime que ses bêtes, leur fille ado en rébellion sans but, une nourrice ne connaissant que les lamentations pour toute expression, un docteur guilleret jusqu'au ridicule, un vieux croûton qui ne vit que pour la tradition la plus factice... C'est la fin d'un monde, d'une période, dans ce château trop grand et trop isolé de tout, que Peake nous donne à contempler. Par bien des points, Gormenghast est le pendant du Pyramides de Pratchett, avec une même ironie sur la tradition (ici séculière et non religieuse) vidée de son sens et résumée à des détails maniaques, étouffants, sans valeur.
Le héros éponyme n'ayant qu'entre 0 et 1 an, le véritable protagoniste est... l'antagoniste, Finelame, 18 ans au compteur, et déjà totalement dévoré d'ambition et de noirceur. Dans son plan à longue distance, le psychopathe manipule, dévie, échoue, rebondit, selon le personnage qu'il veut contrôler, que ce soit l'adolescente solitaire, deux vieilles jumelles aux répliques tout droit sorties d'En attendant Godot, ou un garde taciturne. Chaque rencontre est l'occasion d'un duel psychologique lancinant, destabilisant, où il doit affronter aussi bien l'intelligence, la révolte... ou la crétinerie absolue (qui n'est pas l'adversaire le plus facile, oh non). Titus d'Enfer est une exploration en eaux troubles d'humains plongés dans un état limite : à deux doigts du néant, d'une tradition devenue prison volontaire. Le dernier château avant la fin du monde en quelque sorte. La lecture devient alors un voyage au bout de la nuit expérimental, un nuage sombre qui enveloppe le lecteur de sa masse à la fois transparente et lourde.
Tout n'est pas parfait. Je trouve que le pari de Peake fonctionne sur les 300 premières pages, la raréfaction de l'action n'est pas un problème une fois accepté son délire. Mais le dernier quart m'a semblé moins convaincant. En abandonnant totalement ses personnages pour continuer ses savants sortilèges langagiers, Peake m'a quelque peu étouffé sous son épuisante richesse. L'arc secondaire de Keda, nourrice de Titus, ne sert à rien, même si le style de l'auteur aide beaucoup à faire passer la pilule. Il sert surtout à introduire un autre personnage qui sera de la partie dans les volumes suivants.
Le livre est clairement de la fantasy, on est bien dans un autre monde, avec quelques éléments magiques, mais c'est une fantasy qui ne ressemble à aucune autre, impossible à classer. On lui accole le terme "fantasy of manners" mais ce terme est bien faible. Je dirais "fantasy gothique psychologique absurde" (dans le sens Beckettien, pas burlesque), ce qui en dit pas mal sur la difficulté de le classer. Même si Mervyn Peake se regarde parfois trop écrire, Titus d'Enfer rejoint facilement la liste des livres m'ayant le plus subjugué par sa pure maîtrise technique du langage, comme La Disparition de Georges Pérec, Le Carnet d'or de Doris Lessing, La Lettre Écarlate de Nathaniel Hawthorne ou la poésie de Baudelaire en général. Je lirai bien sûr les 3 volumes suivants, mais il faut déjà que je récupère de cette lecture aussi merveilleuse qu'écrasante. (****)
Dearesttara- Roi (Reine)
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Re: Romans de Fantasy
Estuaire44- Empereur
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Re: Romans de Fantasy
Au guet ! poursuit le chemin creusé par Pyramides qui marquait le tournant de la parodie à la satire, Pratchett se montrant plus acide que jamais. Grâce à la galerie de portraits bête et méchante d'Ankh-Morpork, l'auteur dézingue sans discontinuer les démagogues, les moutons qui les écoutent, le pragmatisme sec des puissants, des forces de police ayant longtemps abandonné leur mission... chaque couche sociale passe ainsi sous son impitoyable fulmicoton littéraire. Toutefois, pendant la majorité du bouquin, j'ai trouvé sa satire assez facile, avec des caricatures tellement poussées qu'elles perdent de leur saveur. Pareillement, la Garde de Nuit du titre m'a assez peu intéressé, Coton, Chicard et même l'idéaliste Carotte qui dynamite la routine du Guet, en restent à des silhouettes peu creusées et très à la remorque de leur capitaine. Lady Sybil, bien qu'assez active, se cantonne à un rôle de matronne sculpturale love interest, tandis que le Patricien, le plus stimulant moralement des personnages, demeure peu présent du récit. Le sympathique bibliothécaire de l'Université donne toutefois un peu de nerf humoristique et musclé, avec des interventions toujours très... frappantes. Le plus triste demeure toutefois l'opposition. Le Grand Maître Suprême se révèle un mastermind aux pieds d'argile et au final pathétique tandis que le Dragon, si formidable soit-il, reste dénué de la complexité morale d'un être humain. Seul Vimaire suscite un plus grand intérêt, capitaine décati résigné mais n'ayant pas réussi à dissoudre même sous l'alcool un vieux fond d'idéalisme qui le démange. Il n'est pas difficile de voir que sous ses multiples interrogations existentielles, il compose un alter ego à Pratchett.
C'est véritablement dans le dernier tiers que j'ai trouvé le roman à la hauteur de sa réputation. Au-delà de bourrines et drôlatiques scènes d'action (Carotte et Sybil en pleine forme), Pratchett creuse des méandres moraux pour répondre à la question "quelle façon d'agir justifie qu'on vit chaque jour ?". Pas la résignation en tous cas, ce qui en 2024, où nombre de peuples acceptent de courber l'échine face aux abus de leurs gouvernants, reste tristement actuel. En fin de compte, quand Au guet ! s'intéresse aux habitants d'Ankh-Morpork, c'est pour dénoncer l'inaction des gens de bien, synonyme de mal. Vimaire ne devient pas un héros de fantasy classique mais en reprenant à son compte la rigueur morale de Carotte, l'importance des règles, l'humilité de celui qui protège et serve et en les passant à sa troupe (y compris dans une récompense finale délibérément dérisoire), il montre un vibrant exemple de ce que devrait être un gardien de la paix dans toute sa grandeur et ses misères. Loin d'une angélisation ou d'une diabolisation trop simpliste, Pratchett choisit la nuance, on lui en sait gré. L'évolution de Vimaire m'a touché, alors que ce n'est pas le forte de Pratchett habituellement.
C'est aussi à ce moment que le roman passe la troisième et enchaîne les scènes burlesques, notamment l'hilarant duel entre le Dragon-roi et Errol, le mini-dragon crachant du feu par pet continu (si si), les interventions goûteuses de Veterini ou les gueulantes rafraîchissantes de Dame Sybil. Mais c'est surtout la fin, avec le monologue cynique de Veterini que Pratchett ose quelque temps suspendre le ton léger du Disquemonde pour nous offrir un brillant mais volontairement défaillant point de vue sur la nature du mal, que juste une question idéaliste de Vimaire suffit à secouer. Veterini a raison tant qu'il parle d'une humanité lâche et veule, l'essentiel d'Ankh-Morpork en gros. Mais face à l'héroïsme humble du quotidien de la Garde de Nuit, son monologue s'écroule. Un magnifique distinguo qui hisse le débat moral d'Au guet ! plus haut que ses prédécesseurs. Le Patricien est sans doute un des plus fascinants personnages de la saga, un dictateur oui, mais pas assoiffé de pouvoir et ayant à cœur à ce que la cité fonctionne. Malgré quelques excès, le Patricien, par son pragmatisme total, compose une figure certes antipathique mais curieusement plus humaniste que bien des dirigeants plus "démocratiques" de notre monde. Il est un dirigeant machiavélique au sens original du terme, pas de morale, mais une politique menée selon des considérations purement pratiques. Pratchett ne me convainc pas en tant que conteur ou psychologue, mais ses pouvoirs de satiriste sont déjà très élevés. Pile à la moitié 2.5/4.
Dearesttara- Roi (Reine)
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Re: Romans de Fantasy
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