Série "Doctor Who"

The Power of the Daleks, part 1 (aka The Cosmic Wanderer) souffre de son statut audio, un fléau qui va se poursuivre au long des différentes aventures du Deuxième puisqu'il faudra attendre les épisodes couleurs pour en être définitivement débarrassé. On le ressent d'autant plus fortement que l'opus doit répondre à une double (voire triple) mission : présenter le nouveau Docteur et le concept même de Régénération (même si le terme n'existe pas encore), tout en campant le décor d'un arc aux nombreux personnages. D'où plusieurs scènes de dialogue que la relative absence de mise en scène et d'interprétation rendent davantage statiques.

On va attendre de vraiment assister au jeu de Troughton pour émettre un jugement, mais déjà son humour lunaire me séduit moins que les sarcasmes de First, et je raffole pas du pipeau. Néanmoins la Régénération en elle-même séduit par son mix d'idées non conservées par la suite (le vêtement qui se régénère lui aussi, l'activation par le TARDIS) et d'éléments devenus partie intégrante de la série, comme le temporaire trouble psychique plus ou moins marqué selon les cas, ou l'élément émotionnellement  abandonné : le manteau de Ten, le nœud-papillon d'Eleven ou la chevalière de Twelve (les jeux sont ouverts pour Thirteen). L'exercice de style se suit avec plaisir et intérêt.

Pour le spectateur des années 60, la nouveauté demeure bien entendu bien plus marquante, voire déstabilisante, que pour les Whovians de 2022. On apprécie la grande habilité avec laquelle  David Whitaker assume pleinement le changement opéré (aussi bien une différence d'âge que de psychologie) tout en sachant rassurer quant à la stabilité de la série : maintien de Ben et Polly comme Compagnons (en plus, Polly est très Polly, Ben est très Ben...), recours aux ennemis déjà emblématiques que constituent les Daleks, quitte à se passer de Nation ce qui provoquera une brouille durable entre les deux auteurs, ou encore figure scénaristique bien établie de l'opposition entre deux factions dans laquelle déboule le Docteur. Savoir éveiller la curiosité sans perdre le public en route, l'opus y parvient joliment.

Mais Whitaker ne se contente pas de cette habilité manœuvrière et va jusqu'à doter son récit d'une thématique en résonance avec la Régénération : le questionnement de l'identité. Sans même le papier psychique, le premier acte de Two, dont l'identité est encore peu assurée pour les Compagnons porte-paroles du public, est précisément d'en usurper une autre. Un effet miroir ludique et déstabilisant. Celui-ci se prolonge par la mécanique de Whodunit mise en place, avec cette fois l'interrogation sur l'identité de l'assassin, mais aussi avec l'entrée en scène des véritables Daleks, interpellant leur apparence robotique. Les Daleks tiennent décidément leur rang, puisqu'il semble que leur capsule soit elle-aussi plus grande à l'intérieur, le même modèle temporel que pour The Chase ?

Les Trekkies pourront sans doute s'amuser par un jeu d'identité concernant cette fois le Vulcain local. Il ne s'agit en effet sans doute pas d'un clin d’œil à la planète cofondatrice de la Fédération Unie des Planètes, Star Trek TOS n'ayant alors pas encore été diffusé en Grande Bretagne et l'information étant moins globalisée en cette ténébreuse période pré Internet (d'ailleurs la popularité de Kirk and Co ne décollera vraiment qu'avec la syndication, au début des 70's). Étant une colonie relativement proche de la Terre, Whitaker fait ici plutôt référence à la planète hypothétique longtemps supposée expliquer les irrégularités de l'orbite de Mercure, dont la recherche devint un Graal pour les Astronomes au XIXe Siècle. Les équations relativistes d'Einstein résoudront l'énigme au XXe, sans nul besoin d'une planète imaginaire, mais la tradition inspira régulièrement ces auteurs de l'Age d'Or de la SF dont aussi bien Whitaker que Roddenberry furent de grands fans. (****)

Il y a carrément un magazine dédié à Docteur Who ! Cette série est vraiment adoré des Britanniques ! Elizabeth II la regardait peut-être en douce !

Je hasarde une hypothèse sur le type en couverture : la nouvelle incarnation du Maître ?

Quant au shooting, qu'est-ce que cela fait du bien quelques instants de grâce dans ce monde de brutes !

The Power of the Daleks, Part 2 (aka The Undead Metal) ne parvient pas à dynamiser la pourtant intéressante situation mise en place lors du premier volet. En effet, aucune des voies de développement possible pour le récit ne se révèle exploitée avec pertinence. Alors que les  membres de la base se cantonnent à quelques stéréotypes (le savant déconnecté, l’espionne, le garde brutal, le che véreux…), le développement du nouvel équipage du TARDIS ne porte guère ses fruits. Comme de coutume Polly ne fait que commenter l’action, mais cette fois Ben aussi, son action la plus mémorable consistant à aller chercher une lampe.

On a même droit à un paroxysme quand le Trio entreprend de répéter absolument tout ce qui s’est déroulé jusqu’ici, sans autre but que de grappiller un peu de temps d’antenne. Outre quelques bonnes idées de mise en scène (la vue par l’œil du Dalek), le support audio nous prive aussi visiblement de quelques savoureux numéros de la part d’acteurs bien identifiés de l’époque. Toujours les mêmes réserves concernant le Deuxième, qu’en réalité je trouve aussi peu sympathique qu’intéressant, flûte ou pas flûte. Je ne suis pas non plus certain que le montrer se barricader derrière un badge administratif plutôt que de jouer sur son charisme soit le meilleur moyen de le dimensionner.

Au lieu de réellement structurer le récit, le Whodunnit ne fait qu’exploiter le faux indice basique du bouton, ce qui désigne aussi bien l’innocent que le félon de l’arc, a contrario de ce que tente l’intrigue. Le volet politique reste bien trop flou (qui sont les rebelles, que veulent-ils…), tout ceci manque d’incarnation pour réellement entrer dans la partie et aucune synergie n’est installe avec la thématique des Daleks. Celle-ci bénéficie de l’aura déjà emmagasinée par les Némésis du Docteur, mais la surprise du réveil et à relativiser, sans cela on de demande bien à quoi leur présence aurait servi ! Le cliffhanger apparaît plus intrigant, sans doute davantage pour le public d’alors que pour les Whovians actuels ayant déjà vu Victory of the Daleks. Mais même dans les années 60 on a bien dû bien se douter qu’il y avait anguille sous roche ! (**)

Déjà impatient de lire le contre-rendu de cet épisode !

The Power of the Doctor ne va pas sans quelques faiblesses typiques de Chibnall. Ainsi dans une très longue première partie, la narration renoue avec ce zapping de lieu en lieu et de personnage en personnage m'ayant rapidement lassé dans The Flux. Chibnall entend ainsi dynamiser ses histoires, de manière quelque artificielle et fatigante, à mon sens. Au moins sait-il renoncer quand on en vient à l'affrontement direct entre le Docteur, le Maître et leurs alliés respectifs. Limité à une moitié d'épisode, le procédé demeure moins usant que sur tout un arc. On retrouve ainsi quelques faiblesses, comme Yaz sachant piloter le TARDIS (et en virtuose en plus). Or jusqu'ici cela a pour l'essentiel été refusé aux Compagnons humains du Docteur, assez logiquement hormis pour quelques commandes simples. Il aurait au moins fallu installer cela précédemment, je ne me rappelle pas que cela ait été le cas. Par ailleurs les Cybermen et les Daleks se surpassent comme mauvais tireurs, mais, ça, ce n'est pas propre à Chibnall !

Ceci étant posé, l'opus n'en demeure pas moins un grand succès, permettant à Chibnall une inédite cinématographie : tout se révèle ici particulièrement spectaculaire, de la trépidante scène d'ouverture à la très esthétique Régénération en passant par plusieurs vrais morceaux de bravoure (dont les plus grands tableaux au monde repeints à l'effigie du Maître, excellent travail). Le rythme sait ne pas baisser quand on en revient à la narration plus classique et, de fait, l'action demeure épique à souhait, comme il sied à Doctor Who. Tout en plaçant toujours le Docteur au centre de l'échiquier, j'ai trouve que le scénario satisfaisait parfaitement à un cahier des charges des plus épais : narrer une aventure plus grande que la vie et totalement hallucinée comme aime dans cette série, tout en rendant hommage au chemin parcouru à l'occasion du centenaire de la BBC, et installer une Opposition digne du Seigneur du Temps.

Hommage est surtout rendu à la série classique, en droite ligne d'une perspective historique au long cours et les différentes Incarnations et Compagnons invoqués s'insèrent avec fluidité au récit, avec autant d'humour complice que d'émotion. Un superbe cadeau pour les fans d'hier et d'aujourd'hui et sans doute de demain. Le Conseil des Compagnons est un sujet en or pour l'univers étendu sous l'égide de UNIT (on sable le champagne chez Big Finish). Il vient apporter un joli point d'orgue au récit. On aime particulièrement que Dan, un peu cavalièrement éconduit du récit, ait droit à une session de rattrapage et que Ian puisse enfin figurer dans la série moderne, même brièvement. Cela n'aurait pas été la même chose sans William Russell. Le Maître de Sacha Dhawan brille lui aussi de tous se feux, toujours extraverti, mégalo et génialement fou. L'épisode sait aller particulièrement loin, aussi bien dans sa dinguerie que sa relation très intime avec le Docteur (Clara: "You're not his friend. You keep trying to kill him." Missy: "He keeps trying to kill me. It's sort of like our texting."). Le spectacle est total.  Cybermen et Daleks demeurent au second plan mais sans être effacés, ils comptent plusieurs scènes à leur actif, au moins visuellement.  

La sérénité de Thirteen est telle que sa Régénération résulte sans doute moins émotionnellement forte qu'à l'accoutumée. Mais, outre qu'elle permet à une rayonnante  Jodie de nous offrir une dernière composition sensible, telle quelle la scène résulte parfaitement cohérente avec un Docteur qui aura toujours paru glisser à la surface des choses, y compris dans le relationnel avec Ses Compagnons. Hormis avec Yaz, que l'épisode, si besoin en était achève d'édifier en Compagnon central de la période. La cohérence demeure un mérite et on comprend que cette Incarnation, qui en vérité aura consacré tant de temps à la quête inaboutie de sa propre essence, puisse trouver la paix en entrant dans la mort. On pourrait regretter que Chibnall s'en aille sans que l'énigme de l'origine du Docteur (comme beaucoup d'autres questions, en réalité) ne se soit achevée, mais en définitive il est bon que celui-ci conserve toujours une part de mystère. Et puis cette Régénération vaut aussi pour  ce qu'il faut bien nommer le gag énorme de sa révélation, même si en partie anticipé. Décidément RTD s'est Moffatisé : outre la cabriole scénaristique, le showrunner proclame avec un éclat particulier (et un culot d'acier) son propre retour derrière celui de mon Time Lord favori. Le Retour du Roi, comme on dit au Gondor. (****)

Comme d'habitude, excellente critique (mais on ne s'habitue jamais assez aux bonnes choses).

Mauvais esprit en diable, je regrette que ce soit un bon épisode car une daube nous aurait valu ces réjouissantes et piquantes critiques distillées à l'acide sulfurique avec de vrais morceaux d'ironie dedans qui me mettent en joie. Tant pis pour ce coup-là mais je ne désespère pas pour la suite !

Il paraît qu'il est bien dans Sex Education mais connaît pas non plus au demeurant.

Disney “will have a say in creative decisions for Doctor Who, under the terms of a co-production deal made with the BBC over its long-running sci-fi series.”

https://geektyrant.com/news/disney-reportedly-planning-to-give-doctor-who-an-hollywood-makeover
Voilà, cela aura été un beau voyage au long cours, émaillé de précieuses rencontres. Mais, comme pour plusieurs Compagnons auparavant, il est désormais temps pour moi de quitter le TARDIS, afin de reprendre le cours de ma vie. So long Doctor Who.